LI CHEVALIER

LI CHEVALIER

Beaux arts magazine

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 Li Chevalier  est nostalgique d’une beauté qu’elle ne trouve plus dans un art conceptuel omniprésent et s’attache à créer des espaces de respiration pour la réhabiliter. L’esthétique qu’elle recherche n’est ni flatteuse, ni gratuite ou superficielle, mais à la fois saisissante, déstabilisante, sans fioriture ou élément anecdotique. Elle fait sens tout en étant la condition sine qua non pour capter l’attention du spectateur, qui découvre les œuvres en deux temps : «Pour moi, l’œuvre d’art doit frapper par son esthétique et par l’émotion qu’elle suscite. C’est par ce lien ainsi créé que l’on a envie dans un second temps de creuser le concept.» Son pinceau dessine de grandes étendues qui pourraient être celles d’un désert de sable baigné d’une lumière aveuglante, de cimes enneigées habitées par le vide ou les contours indécis d’un rêve prêt à s’évanouir. Elle nous place hors du temps, de l’histoire, de l’espace humain et nous plonge dans la géographie des réflexions de l’artiste sur le sens et l’essence de la vie. Art et philosophie sont intimement liés. Elle n’a pas de réponses ni de certitude, elle avance avec humilité en proposant des pistes de réflexions tout en s’effaçant derrière des problématiques universelles.

 

Alors, dans ces paysages abstraits surgissent des silhouettes tels des Don Quichotte partis à l’assaut de moulins à vent invisibles, des croix chrétiennes frêles – une façon de condamner le dogmatisme ou de considérer que vivre revient pour tout un chacun à porter sa croix – , des âmes sur une barque transportées par Charon pour atteindre l’autre rive du Styx. Dans sa Symphonie du destin, les silhouettes sont attirées vers un au-delà où fusionnent les mondes métaphysiques et physiques en un horizon infini. Un silence assourdissant monte de ces compositions comme pour larguer les amarres du monde réel et laisser l’esprit naviguer dans ces vastes étendues, à l’image de la peinture traditionnelle de paysage chinoise.

 

Li Chevalier se nourrit de son patrimoine artistique oriental où la peinture de paysage a une place de choix – des peintures verticales de Fan Kuan où s’élèvent de majestueuses montagnes de loess aux feuilles horizontales de Ma Yuan magnifiant les vides – et où l’art du trait dessiné à l’encre de Chine est celui des lettrés et des calligraphes. L’artiste ne s’enferme cependant pas dans cet héritage et à sa formation aux Beaux-arts occidentaux – particulièrement à la Central Saint Martins College of Arts and Design de Londres où d’ailleurs un de ses professeurs lui reprochait d’être obsédée par la beauté ! – s’ajoute l’approche romantique du XIXe siècle où la nature est le prétexte de réflexions sur sa propre existence. Rappelons-nous Le Voyageur contemplant une mer de nuages de Caspar David Friedrich, qui considérait l’art «comme médiateur entre la nature et l’homme». Mais l’homme reste pour lui au cœur du système là où le taoïsme place l’homme sur la même voie que la nature pour trouver l’harmonie, il s’efface. On voit bien que Li Chevalier se refuse de faire un choix entre l’une ou l’autre tradition. Après avoir quitté la Chine pendant près de 30 ans, elle assume le fait d’être au croisement des deux cultures et crée ainsi un langage plastique original.

 

Elle n’utilise plus l’encre de Chine sur du papier de riz mais l’applique directement sur la toile, sur laquelle elle mélange de l’acrylique, des pigments, du sable et des collages… Les coulures transparentes de l’encre sont confrontées à l’opacité des fragments de quartz auxquels la lumière donne plus ou moins de profondeur. Nous ne sommes plus dans le format intime du rouleau du lettré car l’artiste tutoie l’abstraction, le monumental jusqu’à l’installation, l’essence même de l’art actuel. Elle invite alors le visiteur à expérimenter ses œuvres en les traversant : ce qui est le cas pour les stèles en hommage à Victor Segalen, ou sa symphonie visuelle. De cette façon, Li Chevalier projette l’art traditionnel chinois dans le monde de l’art contemporain, en lui donnant un nouveau souffle, ce que définit le mouvement de l’Encre expérimentale. Ses titres résument ce croisement : Tolérance du Vide, L’arrachement, Le dogme et le Tao, L’homme dieu, Transcendance… .

 

 

Naissance d'un mouvement pictural L'Encre expérimentale  

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Le mouvement de l’Encre expérimental réunit un groupe d’artistes chinois, qui entendent proposer une alternative au monopole d’un art contemporain chinois véhiculé par les grands marchands occidentaux, défendant une production dérivée du surréalisme ou inspiré d’autres périodes marquantes de l’histoire de l’art occidental. Ces artistes souhaitent enrichir et féconder cette scène artistique chinoise avec d’autres propositions. Pour cela, ils veulent réactiver la peinture à l’encre de Chine – représentative de l’art d’Orient – tout en l’inscrivant dans une modernité, en la faisant évoluer avec les possibilités d’expression qu’offre l’art contemporain. Depuis le XIe siècle, l’opposition du noir et du blanc est la règle, ce que l’on retrouve jusque dans les portraits monumentaux de Yan Pei Ming qui a substitué la fluidité de l’encre à la puissance d’une peinture à l’huile expressionniste. Il n’est pas question de revendiquer une peinture nationaliste ou de défendre une identité culturelle, mais de réhabiliter une culture en perdition. C’est ce qui sous-tend le travail de Li Chevalier qui a rejoint ce mouvement qu’elle porte à côté d’un artiste comme Zhan Yu. Ils travaillent à un projet d’exposition d’œuvres de l’Encre expérimentale à la prochaine Biennale de Venise en 2015. Ce sera une tribune de choix pour donner une visibilité à ce mouvement qui, bien qu’ayant vu le jour dans les années 1980, devrait se voir doté très bientôt d’un manifeste.

 

Cette publication consacrée à Li Chevalier est éditée par TTM Éditions / Beaux Arts magazine 3, carrefour de Weiden • 92130 Issy-les-Moulineaux 01 41 08 38 00 • www.beauxartsmagazine.com RCS Paris B 435 355 896 Président : Thierry Taittinger Rédacteur en chef : Fabrice Bousteau Directrice des partenariats : Marion de Flers Coordination éditoriale : Charlotte Ullmann Rédaction : Stéphanie Pioda Création graphique : Michel Déjus Secrétariat de rédaction : Natacha Nataf Iconographie : Julie Watier Le Borgne Imprimé en France © Beaux Arts magazine / TTM Éditions

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17/05/2014
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